Presse écrite FRA
Journaliste : Coralie Bach
Edition : Novembre 2024
Famille du média : Médias professionnels
Périodicité : Mensuelle
Audience : 90 000
Sujet du média : Banques-Finance
FOCUS Banques d'affaires
La tech toujours moteur du M&A
Initialement réservé à des boutiques spécialisées, le secteur de la tech est devenu ces dernières années l’une des activités phares des banques d’affaires. Malgré le ralentissement des transactions, les sociétés technologiques continuent d’animer le marché des fusions-acquisitions. Alors que les acquéreurs, plus aguerris, se montrent plus exigeants, les banquiers conseils retrouvent une place centrale dans les process.
Avec 189 deals comptabilisés en France par LSEG (ex-Refinitiv) sur les neuf premiers mois de l’année, sur un total de 950 transactions, la tech demeure le premier moteur du marché du M&A. « Nous attendons un pipe d’opérations encore assez important dans la tech car cette dernière fait partie des quelques secteurs dans la focale des investisseurs financiers », constate Marc Walbaum, responsable du M&A pour la France chez BNP Paribas CIB.
Le mouvement de digitalisation de l’économie et le développement de l’intelligence artificielle encouragent les financiers comme les industriels à poursuivre leurs investissements dans ce secteur. Leur recherche a néanmoins évolué. Les fintechs et les sociétés d’e-commerce ont ainsi laissé place aux logiciels B-to-B. « Au sein de ce marché, certains acquéreurs préfèrent les solutions verticales, centrées sur les besoins d’un secteur spécifique », témoigne Thibaut de Smedt, associé de Bryan, Garnier & Co, qui a accompagné le troisième LBO de l’éditeur de logiciels métiers Orisha valorisé 1,8 Md€ par Francisco Partners et TA Associates. « Les marchés verticaux sont certes plus petits, mais moins concurren tiels que celui des éditeurs de solutions génériques qui font face aux gros acteurs américains. »
Tous les modèles, y compris les généralistes, peuvent néanmoins séduire sous réserve de présenter certains atouts. « L’un des points à évaluer est le niveau de complexité à changer de solution pour l’entreprise utilisatrice », explique le banquier d’affaires. Cet aspect transparaît notamment dans le taux de rétention des clients. Plus ce dernier est élevé, mieux l’entreprise sera valorisée.
Autres expertises dans le viseur des acquéreurs : la cybersécurité et l’intelligence artificielle. Le fournisseur de services de cybersécurité Nomios a par exemple mis la main, en octobre dernier, sur le Britannique Dionach, formant un ensemble de près de 500 M€ de chiffre d’affaires.
« Les industriels peuvent très bien valoriser des petites sociétés qui leur apportent une nouvelle brique technologique, en particulier dans l’IA », note le co-fondateur de Clipperton Stéphane Valorge. Le rachat par Safran de Preligens, un éditeur d’une solution d’IA pour la défense et l’aérospatial, survenu cet été, illustre cet engouement. Le groupe du CAC 40 a valorisé la start-up 220 M€, un chiffre à mettre en regard avec les 35 M€ de chiffre d’affaires visés pour 2024. « C’est une technologie fondamentale qui va impacter toutes les chaînes de valeur », ajoute le conseil M&A.
Des valorisations disparates
Les investisseurs ne sont pour autant plus prêts à acquérir des entreprises innovantes à n’importe quel prix. « Auparavant, les industriels acceptaient d’acheter une société non rentable si celle-ci leur ouvrait un nouveau segment de marché ou de clientèle. Ce fut le cas, par exemple, des banques qui ont investi dans les fintechs », illustre Virginie Lazès, associée-gérante et co-responsable de l’équipe tech chez Rothschild & Co. C’est moins vrai aujourd’hui. Les grands groupes recherchent avant tout des sociétés en croissance et rentables.
L’application du principe de la « rule of forty » a d’ailleurs évolué. Selon cette règle, la somme des taux de croissance et de rentabilité doit être égale ou supérieure à 40 pour qu’une jeune pousse soit considérée comme un investissement prometteur. « Il y a deux ou trois ans, une start-up qui faisait 30 % de pertes mais 70 % de croissance entrait dans le spectre des investisseurs », explique Michael Azencot, associé chez Cambon Partners. Aujourd’hui, ces derniers recherchent plus un équilibre entre croissance et rentabilité.
Les sociétés qui satisfont à cette équation peuvent prétendre à de belles valorisations. « En moyenne, les valorisations ont baissé mais elles restent élevées sur les très beaux actifs », appuie Philippe Englebert, gérant chez Lazard. Tous les professionnels du M&A mettent ainsi en avant une polarisation du marché entre des actifs cinq étoiles, désignant des entreprises rentables, en croissance et avec des revenus récurrents, et le reste des sociétés, majoritaires, pour lesquelles les transactions sont plus complexes.
Les prix vont ainsi du simple au double entre les deux catégories, avec des valorisations pouvant tourner entre 20 et 25 fois l’EBITDA pour les meilleurs logiciels sur abonnement (dits SaaS), contre 8 à 10 fois l’EBITDA pour les actifs moins attractifs. « Les moyennes de valorisation ont peu de sens car les écarts types sont très importants », souligne Thibaut de Smedt. Tout l’enjeu est de démontrer que les caractéristiques de l’entreprise sont plus proches de celles des pépites que de celles du gros du marché.
Un rôle renforcé du banquier
Une mission à laquelle s’attachent les banquiers d’affaires dont le métier retrouve toute son utilité. La période faste où les offres étaient abondantes est terminée. Au niveau mondial, le volume d’opérations sur des sociétés technologiques a en effet chuté de 35 % entre le premier semestre 2021 et le premier semestre 2024, tandis que la baisse a été de 23 % pour la zone EMEA (selon le Global M&A Industry Trends 2024 de PwC).
Les investisseurs, financiers comme stratégiques, se montrent plus prudents, réduisant de fait le nombre de candidats sur chaque dossier. « Les process sont plus longs et peuvent s’arrêter au moindre doute », constate Virginie Lazès. Ce n’est pas spécifique à la tech, mais l’effet est accentué dans ce domaine. Désormais, quand une société souhaite se vendre, elle doit trouver le bon conseil en mesure de sérieusement préparer le dossier en amont et d’identifier tous les acquéreurs potentiels.
La place du banquier d’affaires est ainsi remise au centre du process avec une implication nécessairement plus forte que par le passé. « Les processus de vente très larges ne sont plus appropriés. Le conseil M&A doit donc savoir s’adapter et entrer dans le détail de chaque situation », témoigne Marc Walbaum. Il faut rester très proche des acquéreurs, répondre au plus tôt aux questions de fond qu’ils peuvent se poser et mettre en avant dans les négociations les équipes de management afin que leur prise de décision puisse se faire dans les meilleures conditions.
Les particularités des sociétés innovantes, notamment les plus jeunes d’entre elles, viennent en outre ajouter une couche de complexité. « Beaucoup de cessions, et de plus en plus de levées de fonds de start-up, se réalisent auprès d’industriels », explique Philippe Englebert. Le rôle du banquier consiste alors à bien expliquer à l’acquéreur ce modèle de sociétés dont les structures de capital et les modèles de valorisation sont spécifiques.
Impossible en effet pour une start-up, pas encore rentable, de se valoriser classiquement par un multiple d’EBITDA. « On s’appuie généralement soit sur le discounted cash flow qui consiste à fixer le prix selon les flux de trésorerie estimés futurs, soit sur la valorisation induite, en fonction de la dilution que l’entrepreneur est prêt à accorder », poursuit le banquier d’affaires. « Lorsque le secteur n’est pas mature, nous devons aller au-delà de la lecture financière du dossier », ajoute Stéphane Valorge. Il faut appréhender le potentiel de croissance, car la valeur de l’entreprise dépasse sa valeur financière à l’instant t.
C’est cette nécessité de dépasser l’analyse des chiffres pour évaluer la qualité d’une innovation qui a conduit progressivement les professionnels du M&A à se doter de spécialistes de la tech.
Des conseils toujours plus nombreux
Les boutiques ont été les premières à se positionner, dès le début des années 2000, à l’image de Cambon et Clipperton, particulièrement actifs sur le marché, ou encore de Bryan, Garnier & Co et du Britannique Arma Partners. Mais face au développement du secteur, les conseils historiques ont à leur tour manifesté leur intérêt pour ces transactions et la grande majorité des banques d’affaires revendiquent désormais une expertise sur les nouvelles technologies.
« Tous les conseils ont souhaité prendre ce virage car la tech fait partie, avec la santé, des thématiques phares du M&A », remarque Michael Azencot.
Les positionnements sont toutefois un peu différents. Les boutiques se concentrent majoritairement sur les transactions small et mid-cap. Les banques généralistes françaises ont pour leur part un spectre assez large, couvrant à la fois les petites transactions et les opérations upper-mid et large cap, tandis que les gros acteurs américains, comme Goldman Sachs ou Morgan Stanley, se focalisent sur le haut du marché.
L’organisation des équipes varie également selon les acteurs. Celle de BNP Paribas CIB, par exemple, se compose d’une trentaine de banquiers généralistes en France qui interviennent conjointement avec des experts sectoriels : « Ces experts entretiennent un dialogue sectoriel permanent avec les grands industriels et les fonds d’investissement », précise Marc Walbaum.
Lazard a opté pour une approche similaire. « La tech représente plus un sujet de disruption et d’innovation qu’un secteur en tant que tel », observe Philippe Englebert. La banque généraliste a ainsi mis en place plusieurs « pools » sectoriels et transverses, comprenant un pôle dédié à la tech avec une quarantaine de spécialistes à Paris et dans d’autres places, et des experts de secteurs spécifiques (fintech, cyber, santé, logiciels...).
Rothschild & Co a choisi la constitution d’un pôle tech dédié, à dimension internationale, comprenant 75 professionnels basés à Paris, Londres, New York, San Francisco et Singapour. Cette équipe est positionnée sur tous types d’opérations (levées de fonds, M&A, IPO).
« Notre force réside dans la qualité et la réactivité de notre équipe spécialisée, qui connaît parfaitement ses clients et leur secteur », souligne Virginie Lazès. Cambon Partners, qui a doublé ses effectifs ces dernières années pour atteindre une quarantaine de collaborateurs, s’appuie aussi sur des spécialistes verticalisés pour mieux couvrir la fintech, la santé, la cybersécurité ou encore les logiciels B2B.